L’origine précise du shōgi prête encore à discussion. On a
longtemps admis qu’il descendait, comme les échecs, d’une variante à 4
joueurs du Chaturanga, un jeu originaire d’Inde,
mais de récentes recherches battent en brèche cette thèse et certains
préfèrent le faire descendre directement de la version à 2 joueurs dudit
jeu, plus ancienne. On s’accorde cependant pour dire que l’ancêtre du
shōgi et des échecs occidentaux a de fortes chances de provenir du Bassin de l’Asie centrale, soit effectivement au Nord de l’Inde, ou plus probablement au Sud de la Chine avec le Boluo Saixi, voire dans un pays de l’Empire Perse Sassanide. Se diffusant le long des routes commerciales et subissant de nombreuses modifications en chemin, il arrivera en Occident (apporté par les conquérants musulmans sous le nom de Shatranj), en Thaïlande (sous le nom de Makruk), en Chine (sous le nom de Xiangqi) et au Japon, dont les échanges avec l’Empire du Milieu donneront naissance au shōgi.
Contrairement au jeu de Go, dont on sait qu’il fut importé dans l’archipel durant l’Epoque de Nara[1] (奈良時代, Nara-jidai),
la date d’implantation du shōgi au Japon n’est pas encore précisément
déterminée. Certains la situent, sans preuve formelle, dès le XIeme siècle avec une évolution progressive des pièces figuratives héritées du Chaturanga vers celles qu’on connait. D’autres indiquent plutôt l’Ere Edo[2] (江戸時代, Edo jidai). L’Epoque de Heian[3] (平安時代, Heian jidai)
est aussi citée, bien que durant cette période, des pions placés sur
les lignes du plateau et non ses cases soient observés. Cette théorie
est cependant renforcée par le fait que les plus anciens documents
citant l’existence du jeu, comme le Kirinshō (麒麟抄), un ouvrage en sept volumes contenant une description des symboles utilisés au shōgi, écrit en 1027 par Fujiwara Yuriaki, datent de cette ère. La fameuse règle du parachutage y est déjà mentionnée. On peut citer dans la même veine le Nichūreki (二中歴), dictionnaire de la culture populaire semblant avoir été composé entre 1210 et 1221 et basé sur les travaux de Miyoshi Tameyasu, qui y distingue deux formes de shōgi : le grand (dai) et le petit (sho). En conséquence, afin d’éviter les confusions, le petit shōgi a été appelé « Heian shogi » et le grand « Heian dai shogi ». Le jeu connu à ce jour est le premier d’entre eux.
De plus, la plus ancienne preuve archéologique de l’existence du jeu date de cette époque. Il s’agit d’un lot 16 pièces en bois d’Hinoki retrouvées dans le temple bouddhiste Kofuku-ji, dans la Préfecture de Nara, ainsi qu’une plaque en bois gravé datant de la sixième année du Tenki (1058). On remarque que lesdites pièces ont déjà la forme que nous leur connaissons aujourd’hui.
Au cours de son histoire, le shogi a connu de nombreuses évolutions
et, dans leur corolaire, et par ricochet plusieurs variantes. On peut
citer, entre autres, en plus du Heian shōgi et du Heian Dai shōgi, le Tenjiku shōgi, le Dai dai shōgi, le Maka dai dai shōgi, le Tai shōgi également appelé Dai shōgi, le Taikyoku shōgi, le chu shōgi ou encore le sho shōgi. Ces évolutions ajoutent (ou retirent) des pièces. Le sho shōgi, par exemple, ajouta la tour, le fou et l’éléphant ivre du Heian Dai shōgi au Heian shōgi. Les motivations sont diverses. Comme avec le Chu shōgi, relativement proche de la variante contemporaine, créé vers le XVeme siècle du fait de la complexité des règles du Dai shōgi.
On pense que les règles présidant au shōgi actuel ont été fixées au XVIeme siècle, avec la suppression de la pièce appelée « éléphant ivre (酔象,suizō) ». Il a cependant persisté à la même époque des variantes comportant ce pion, comme le démontre des fouilles effectuées sur les ruines du Domaine de la Famille Ichijodani Asakura. Selon Shoshogi Zushiki, des règles de shōgi ont été publiées en 1696 durant l’ère Genroku[4]. Elle précise que l’éléphant ivre a été retiré du jeu de shōgi par l’empereur Go Nara durant la Période de Tenmon[5], mais ce postulat n’est pas attesté.
Le shōgi moderne (Hon shōgi) avait déjà été approuvé, en même temps que le jeu de Go, par le Bakufu (shogunat) Tokugawa, à travers un édit de 1612, qui instituait par la même occasion un système de rémunération des joueurs. Le premier tournoi de Shogi fut organisé en 1630, durant l’ère Kan’Ei[6]. Le huitième shgun, Tokugawa Yoshimune, décida que de tels tournois auraient lieu chaque année, le 17ème jour du Kannazuki[7], qui correspond à notre 17 novembre, un jour qui est encore aujourd’hui celui du Shogi. Le système de rémunération instauré par le Bakufu est démantelé à la Restauration Meiji, ce qui empêcha, hormis une poignée de joueurs, les pratiquants de cette époque de vivre du shōgi.
La popularité du shōgi resta cependant intacte, et des tournois
furent organisés à travers tout le Japon. Le « shōgi de porche » fit son
apparition dans des maisons de bain ou encore chez les coiffeurs. À
partir de 1899, les journaux publièrent les résultats des tournois, et les joueurs de haut rang virent le récit de leurs parties imprimé. En 1909, l’Association de shōgi fut fondée, puis ce fut au tour de la Tokyo Shogi Renmei (littéralement la Fédération de Shogi Tokyoïte) en 1924.
L’actuelle Fédération Japonaise de Shogi, la Nihon Shogi Renmei (日本将棋連盟), dont l’acronyme international est JSA (Japan Shogi Association), bien que fondée en 1947, fait coïncider sa naissance avec celle la Tokyo Shogi Renmei. Une autre association, l’Association Japonaise des Joueuses de Shogi Professionnelles (日本女子プロ将棋協会, « Nihon Joshi Puro Shōgi Kyōkai ») dont l’acronyme international est LPSA (Ladies Professional Shogi-players Association of Japan),
cohabite avec elle et représente les joueuses professionnelles qui
n’ont pas accès traditionnellement à la ligue masculine. Les deux
catégories de joueurs professionnels, respectivement appelées Professionnels (棋士, « Kishi »), et Professionnelles Féminines (女流棋士, « Joryūkishi »?), participent à différents tournois. Il arrive qu’on remplace le terme Kishi par Seikishi (正棋士), issu du vocabulaire du jeu de Go.
Toujours comme au jeu de Go, il existe un système de classement comportant des dan et des kyu, autant au niveau des amateurs que des professionnels. Le rang le plus élevé en amateur, 4 ou 5 dan, est équivalent à 6 kyu professionnel. En 2006, la Fédération de shōgi autorisa les amateurs et les femmes professionnelles à obtenir le rang de Professionnel en passant un examen d’entrée pour le niveau quatrième dan, accessible à tout joueur expérimenté et ayant déjà participé à des ligues. Il existe 7 titres de champions professionnels en ce qui concerne la ligue masculine, connus sous le nom des 7 couronnes, sur un total de 15 tournois principaux. En 1996, le Meijin (Grand Maître) Yoshiharu Habu est devenu l’unique Kishi de l’Histoire à obtenir simultanément l’ensemble des titres majeurs.
[1] 710 – 794
[2] 1600 – 1868
[3] 794 – 1185
[4] Septembre 1688 – mars 1704
[5] 1532 – 1550
[6] février 1624 – décembre 1643
[7]
Littéralement « le mois où ils n’y pas de dieux. Les dieux, ou kami,
sont censés, dans tradition shintō, se rassembler durant cette période,
correspondant au mois d’octobre, au Grand Sanctuaire d’Izumo pour leur
réunion annuelle. Dans la région dudit Sanctuaire, ce mois est appelé
kamiarizuki, « le mois des dieux présents »
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